Le passage du Temps
Descriptif
Support : Toile sur châssis
Taille réelle : 90 x 90 cm
Référence : Q-46
Copyright : EB-00046741
Pièce unique
Status : Disponible
Vos commentaires sur cette oeuvre
Merci beaucoup.
"Le passage de Juana"
Juana María s'envolait. Sa robe, ses tulles violet, rouge, orange, dansaient au vent.
Ses émotions tournoyaient dans son cœur, elle sentait le feu juste au dessus de son estomac.
Elle fuyait l'obscurité, l'humidité, le moisi de son monde connu et détesté.
Elle courait au vent, le feu sur le sternum.
Juana Zulema se mariait. Elle était belle, radieuse. Sa maladie était restée cachée dans l'oeil de l'ouragan, tache violette, larme géante. Elle voulait y croire. Elle y croyait. Le temps ne passerait plus pour elle, là, vierge comme cette voix qui l'accompagnait à l'autel. Sacrifice. Lumière de son œil.
Juana Alicia, haut blanc, est là, sous un arbre. Regard. Les mains sur son ventre adolescent, les jambes croisées (le passé qui croise son avenir) dans son jean qui caresse l'herbe. Elle interroge la vie. Regard. Elle porte les Juanas, elle veut comprendre. Elle se penche au dessus de l'oeil de l'ouragan. Vertige. Abîme. Souvenirs sourds.
Juana traverse les Juanas.
Trois Juanas
un œil
un tissu blanc
Juana María courait, dansait, voltigeait, son âme pleine de rêves. À quoi pensais-tu, Juana María ? Dans ta robe rouge tu traversais l'océan, les lignes bleues marquaient le chemin de tes désirs. L'avenir s'ouvrait à toi ; toi, tu ouvrais ton cœur à cet avenir. Brûler le passé. Boule de feu sur l'eau vers le point où tout serait possible.
Recommencer ce jour-là, brûler ce passé, le purifier. Le voile court de Juana Zulema au vent. Son regard liquide. Son sourire. Ses bras, sa peau. Ses mains qui s'accrochent aux fleurs, coupées pourtant.
Juana Alicia cherche l'amour. Elle sait que seul le vrai amour fera en sorte que les tulles rouges de la robe rentrés dans l'oeil de l'ouragan ressortent pleins de vie. Elle entend la Pavane, elle se lève, traverse le parc, ses yeux cherchent la beauté au delà de la laideur de la ville, de ses bruits, de ses odeurs de gaz.
Un piano derrière une fenêtre
Un piano dans le salon du bal
Un piano dans le bateau au dessus de l'océan
Juana Alicia part à la recherche d'une Juana à travers l'autre. Elle veut remonter le temps, parcourir les chemins de son sang vers la source. Elle traverse ainsi ce parc au bout duquel Juana Zulema l'attend. Elles s'étreignent éternellement, se prennent par la main et déambulent en serpentant les arbres majestueux. Elles partent à la recherche de Juana.
Elles montent dans une voiture qui parcourt la ville un après-midi de dimanche où tout est en suspens dans un brouillard opaque. Distraite, comme si cela n'avait aucune importance, Juana Zulema dit qu'elle vient de voir Juana María là, dans cet immense immeuble délabré, derrière ces jardins abandonnés, qu'elles viennent de dépasser. Juana María est à l'intérieur, figée à jamais, vêtue de blanc, ses tulles rouge, orange, violet se sont évaporés. Odeur chimique. Juana María a perdu le vent, le feu, l'eau mais son œil percute l'oeil de sa petite fille adulte.
Jamais ça.
Juana Alicia ne perdra jamais, elle, le feu, le vent, l'océan. Elle ne sera pas coupée de ses rêves.
Juana María en robe blanche. La Pavane. Une voix limpide, pure, qui vient des profondeurs. Deux musiques. Le temps parcourt les vibrations des notes qui se succèdent, s'entremêlent, se croisent. Mais le temps de Juana María s'est arrêté là, sur ce piano. Les tulles blancs coulent sur le côté du clavier, atteignent le sol et poursuivent leur chemin en torrent.
Juana Zulema se lève avec sa robe et ses tulles blancs, elle danse au dessus du piano. Les feuilles d'automne dansent au vent de la Pavane et la voix de profundis.
Juana Zulema, la mère, a cinquante ans.
Juana María, la grand-mère, a quarante ans.
Juana Alicia, la petite fille, a trente cinq ans.
Elles forment une étoile sur le piano, trois robes blanches. La robe de Juana Alicia reste là, elle, elle part.